Exposition collective: Ebrahim Bahaa-Eldin, Salah Bouade, Hiba Dahibi, Kais Aiouch & Chahine Fellahi, Guilain Delanoue, Anass Ouaziz, Fatine-Violette Sabiri, Yassine Rachidi, Yassine Sellame, Kamil Tahiri, Mounir Rahmouni, Adnane Zemmama.
Exposition collective
Ebrahim Bahaa-Eldin, Salah Bouade, Hiba Dahibi, Kais Aiouch & Chahine Fellahi, Guilain Delanoue, Anass Ouaziz, Fatine-Violette Sabiri, Yassine Rachidi, Yassine Sellame, Kamil Tahiri, Mounir Rahmouni, Adnane Zemmama.
Commissariat de Laila Hida & Jeanne Mercier
Longtemps en photographie, comme en histoire de l’art, l’évolution des pratiques a été pensée comme une suite logique liée aux inventions techniques Les tubes de peintures permettent aux impressionnistes de sortir de l’atelier comme le passage de la chambre noir à l’appareil petit format, mènent les photographes du studio à la rue. L’usage et la fonction même de la pratique s’est transformée par ces importantes transitions techniques.
Depuis son apparition, le mythe de la photographie numérique semblait se construire en opposition avec la photographie argentique, comme une image en négatif, qui rendrait l'autre invisible et sonnerait le glas des précédentes techniques. Pourtant aujourd'hui, nombreux sont les photographes à travers le monde qui s’attachent et pratiquent encore la photographie argentique. Ils reviennent à des techniques plus anciennes comme en témoigne l’engouement actuel certain pour le cyanotype ou l’anthotype. Pour autant, ceux-là même, ne sont pas des réactionnaires refusant d’évoluer avec leur temps. Comme les autres, ils se servent des outils de retouches et d’édition que proposent les logiciels, disséminent et partagent leurs images sur les réseaux sociaux. Ces praticiens, pour diverses raisons, cherchent autre chose dans l’argentique : un rituel, une matérialité quand tout se dématérialise ou pour d’autres un certain rendu, granuleux voire imparfait, moins clinique. En somme, l'argentique au delà d’un choix esthétique et politique, semble être aussi un besoin d'équilibrer le flux incessant et accélérationniste de l’image avec la limitation qu’impose la pellicule en nombre de poses, provoquant la discontinuité et la latence. L'artiste devient révélateur de ce qui est déjà là, “ telle, l’image photographique qui n’a pas encore été plongée dans le bain où elle se révélera” comme l'écrit Bergson dans La Pensée et le Mouvant (1934).
Au Maroc comme ailleurs, la génération 1990 / 2000 s’est aussi bien adaptée aux outils et plateformes numériques comme le montrait Dabaphoto 5 “Burn Out”, qu’à de techniques plus anciennes comme l’argentique. Ainsi pour cette édition, le programme Dabaphoto a souhaité poursuivre ce questionnement sur les usages des jeunes photographes dévoilant les histoires qui émergent de leurs errances et leurs explorations des possibilités offertes par les divers processus techniques. C’est aussi une volonté manifeste de rejouer les rituels, les gestes et les savoirs qui les ont précédés en se les réappropriant pour re-tisser l’histoire de l’image non pas dans une continuum (chrono) logique mais dans une superposition de fragments et d’histoires.
Un appel à projet nous a donc mis sur la trace de ces nouveaux regards qui arpentent le paysage et ré-inventent les fictions avec leurs appareils trouvés au fond d’un placard, échangés ou chinés dans les souks hebdomadaires et marchés de la seconde main.
Mais pourquoi ce besoin de ralentissement? L’accumulation et la surproduction d’images n’y sont bien sûr pas étrangères. La photographie argentique revendiquée par ces photographes fait autant appel à des références cinématographiques, qu’à une quête de l’errance et de l’imperfection. Ici les images ne sont pas forcément posées mais fugitives. Les paysages, la ville et les habitants sont présents. Il n’est pas question d’être hors du temps mais dans son temps, et plutôt dans une sorte de contemplation du moment. C’est parfois le caractère fantomatique de l’image photographique avec le duo Chahine Fellahi et Kais Aiouch et leurs cyanotypes qui interpelle, ou la recherche de l’accident à coup de pellicules périmées et de procédés de surimpression, comme le montre les images de Yassine Sellame.C’est aussi de vivre un instant suspendu dans le processus de délabrement d’un lieu, vestige d’un temps passé, comme un décor de studio vidé de ses personnages qu’ Adnane Zemmama ou encore Ebrahim Bahaa-Eldin invitent à explorer.
Par la diversité des propositions, l’exposition souligne à quel point une pratique élargie de l’image, allant de la mise en scène au collage, du stop motion à la vidéo, ou encore à l'édition a pu transcender les générations et le territoire, comme en témoigne l'oeuvre de Yassine Rachidi.L’image n’est que le démarrage de discours nouveaux et contemporains qui inscrivent l’argentique dans un va et vient entre ce qui est, ce qui aurait pu être et le futur de la photographie.
Fidèle à son travail d’accompagnement, LE 18 poursuit ses recherches autour de la photographie vernaculaire, en assistant Salah Bouade dans l'exploration et la collecte d'archives photo sur le Maroc.
Comment ces images d’archives racontent le Maroc d’antan? La pratique photographique a-t-elle tant évolué depuis 70 ans? Quelles valeurs ont les archives familiales et personnelles dans le patrimoine photographique national et comment manipuler cette archive parfois oubliée, égarée ou dispersée, pour créer de nouvelles fictions, combler les trous, et se réapproprier une histoire depuis une perspective différente. Autant de questions auxquelles tente de répondre la pratique de la collecte comme acte de préservation mais aussi de remise en question de discours et de représentations établis.
La scénographie de l’exposition a été pensée comme un cheminement dans lequel la couleur guidera les spectateurs, dans un parcours non linéaire, d’un espace à l’autre qui donne à réfléchir sur ce que la nouvelle génération voit de son environnement. Elle révèle aussi bien l’idée de rendre visible l’invisible et le réel que la volonté de renouveler les imaginaires liés au Maroc. Les points de couleur et les diverses modalités d’accrochage seront autant de manières de vivre l'expérience de la visite dans ses multiples fragments visuels, esthétiques et symboliques.
Dans le patio, des images au sol de Mounir Rahmouni rejouent la scénographie dans une mise en abyme de la scène au moment de sa prise de vue, et les photos sur textile suspendues de Kamil Tahiri nous plongent dans une nuit qui en filigrane induit les notions de transgression et liberté. Quant aux portraits de Fatine-Violette Sabiri, ils dépeignent d’une manière documentaire, cette même jeunesse qui se regarde et révèle au travers du filtre photographique comment elle voit et se perçoit. Les questions de figuration rejoignent celles de l’exil, du déplacement du corps du regardeur et du regardé. Au travers des photos d’architectures et d’intérieurs, Guillain Delanoue interroge avec cette distance, la ville contemporaine, alors que Hiba Dahibi et Anass Ouaziz composent des rêves fragmentées.
Tous sont des fabricants de fiction qui usent de l’image comme une matière à modeler pour fixer le regard à la frontière de l’imaginaire et nous donner à voir un autre récit du Maroc qu’ils habitent et regardent.