Archétype de la ville-jardin, une "rose parmi les palmiers", depuis sa fondation Marrakech a été façonnée par la gestion attentive de ses eaux, à travers un "génie hydraulique" qui a fait de la ville le dépositaire d'une civilisation de l'eau unique : celle fondée sur le khettara, ou qanat. A partir du protectorat néanmoins, la ville a été soumise à une spéculation et à une greffe urbaine intensifiées, qui ont profondément modifié les arrangements spatiaux, les contrats sociaux, les solidarités territoriales et la durabilité écologique qui la gouvernait. Comme soutenu par Mohamed el Faïz, il est nécessaire de repenser de manière critique l'héritage des techniques, des technologies et des cultures ancrées dans les systèmes indigènes de gestion de l'eau, afin de repenser l'avenir de nos villes.
QANAT est une plateforme multidisciplinaire qui explore les politiques et la poétique de l’eau au Maroc et au delà, et qui se propose comme effort collectif pour réfléchir et engager les multiples configurations d'être et de faire en commun. QANAT s’inspire de l'héritage des cultures indigènes de l’eau de Marrakech, incarnées par les qanat (ou khettara en darija - littéralement ‘canaux’). Système souterrain de canalisation des eaux, articulé en tunnels et puis, en lignes et cercles, le qanat est une technologie qui a traversé l’Afrique, l’Europe du sud, les Amériques et l’Asie. Cette infrastructure a aussi été fondatrice de la ville de Marrakech et d’un pacte social enraciné dans la partition communale et attentive d’une ressource si rare et essentielle.
Les différentes significations et modes d’engager l’eau ont toujours relevé de nos attitudes réciproques, ainsi que de nos relations vis à vis l’environnement et d’autres espèces vivantes. QANAT est ainsi porté par l’urgence d’aborder les multiples fractures matérielles, symboliques et épistémiques produites par la modernité et visibles dans des lignes d’eau fragmentées, dans des infrastructures inter-rompues, d’abord dans nos environnements les plus proches, tout en serpentant dans d’autres géographies. Le projet (se) ressource des savoirs, des actes de résistances et de solidarités passes et presents émergeant en opposition aux récits et aux pratiques mono-culturelles et extractives dominantes, pour tester la création d’espaces où des voix ‘en marge’ dans la ville puissent spéculer sur des nouveaux imaginaires collectifs. QANAT opère ainsi une permutation transversale, via la collecte et le développement d’une archive de réflexions et actions similaires afin de retisser des luttes locales souvent fragmentées dans une trame transnationale capable de nourrir des débats à travers des localités dispersées.
Miroir de la formation rhizomique des khettara, QANAT est un réseau de personnes et une plateforme multidisciplinaire dans laquelle pratiques artistiques, recherches sociales et spatiales et initiatives participatives se nourrissent réciproquement afin d’adresser les dynamiques complexes qui affectent et qui sont affectées par les espaces de l’eau. QANAT adopte une approche de recherche-action multidisciplinaire et contextuelle qui combine des programmes publics (séminaires de recherche, expositions, ateliers et projets participatifs), des résidences de recherche et des publications. Ancrée à Marrakech et dans ses environs, le projet implique des artistes et des chercheurs locaux et internationaux sur le long terme afin de construire sur des connaissances ancrées localement, en les combinant avec des méthodes issues à la fois des arts visuels, des sciences sociales et des sciences dures. Elle se fonde sur des principes de pratique et une éthique de la recherche conçue comme inclusive, durable, radicale et rhizomatique.
Initié par Francesca Masoero, QANAT implique des contributeurs de longue date, tels que Louisa Aarrass, Soumeya Ait Ahmed, Nassim Azarzar, A. George Bajalia, Noureddine Ezarraf, Sara Frikech, Jerome Giller, Abdellah Hassak, Amine Lahrach, Rim Mejdi, Shayma Nader et Edouard Sors, avec la consultation et la contribution ponctuelle de Jeanne van Heeswijk, Laila Hida, Flore Grassiot et Heidi Vogels. QANAT est également développé en partenariat avec la Fondation Dar Bellarj dans le cadre des Ateliers Collectifs. Il a été soutenu par SouthMed CV / Med Culture, Stimulerings Fund, Wallonie Bruxelles International, Meet the Neighbours / Creative Europe et la Fondation Susanna Biedermann.